Sonates de Torelli et de Vivaldi : du maître à l’élève…?
Giuseppe Torelli est surtout connu pour ses contributions au développement du concerto grosso et du concerto pour violon, dont il a permis l’émancipation avant que Vivaldi ne leur donne leurs premières lettres de noblesse. Ses sonates en trio, cependant, méritent une attention particulière. Par leur traitement innovant de la forme et de la texture, leur variété stylistique, leur dramaturgie et leur modernité, elles témoignent d’une inventivité remarquable.
Les sonates en trio manuscrites de Torelli apparaissent comme un véritable pendant à celles, bien connues, de son contemporain romain Arcangelo Corelli, et comme un jalon important dans l’histoire de la musique, entre les œuvres du milieu du 17e siècle et celles de Vivaldi. Elles furent probablement composées à Bologne, où Torelli passa l’essentiel de sa vie en dehors de ses voyages en Autriche et en Allemagne, et d’un séjour de quelques années à la cour de Ansbach vers 1700.
En dehors de l’Italie, c’est donc dans l’espace germanophone que la musique de Torelli connut ses plus grands succès, en particulier grâce à la figure de Johann Georg Pisendel, qui a été l’élève de Torelli à Ansbach autour de 1700 avant de rencontrer Vivaldi et de devenir son élève (et même son ami) en 1717-1718. Après son séjour auprès du Prêtre roux à Venise, Pisendel s’installera définitivement à Dresde où il dirigera l’un des meilleurs orchestres d’Europe. Ce n’est donc pas une surprise si les manuscrits des trois sonates du programme de ce soir sont encore aujourd’hui conservés à Dresde : ils y ont été apportés par Pisendel, qui les avait rédigés dans sa jeunesse à Ansbach auprès du compositeur.
Et Vivaldi, dans tout cela ?
Une rencontre entre Torelli et Vivaldi n’a jamais été attestée. Pourtant, le premier a indiscutablement été marquant pour le second. Il semblerait même que Torelli ait été le compositeur qui a le plus influencé le Prêtre roux. Certains concertos de Vivaldi sont si “torelliens” qu’ils ont parfois été attribués au maître de Bologne – et la paternité d’un concerto en ré mineur (par ailleurs transcrit pour clavecin seul par J. S. Bach) est encore aujourd’hui discutée.
Les premières œuvres de Vivaldi, même si elles affirment déjà le style du Vénitien, portent donc la marque claire de Torelli. Il faut en particulier y relever les perfidie, épisodes solistes virtuoses durant lesquels un instrument se lance dans une série de notes rapides, généralement sur une note tenue de basse. Le terme de “Perfidia” provient de compositions de Torelli, qui a contribué de façon décisive à faire émerger ce type d’écriture. Ces sections se rencontrent couramment dans les œuvres de jeunesse de Vivaldi, comme par exemple au début de la sonate pour violon et basse continue en la majeur ou à la fin des trois premiers mouvements de la sonate RV 776 – où ils sont (le fait est inhabituel chez Vivaldi) confiés à l’orgue solo.
Cette sonate, dont il existe plusieurs instrumentations, constitue par ailleurs l’une des plus anciennes compositions de Vivaldi. Elle a même été considérée pendant des décennies comme la première œuvre conservée de la plume de Vivaldi, jusqu’à ce qu’une autre sonate, RV 816 pour violon, violoncelle et basse continue, ne soit découverte il y a seulement quelques années à Dresde. Cette dernière, qui témoigne d’une influence torellienne indiscutable, n’est pas conservée dans un manuscrit autographe mais à travers une partition copiée par Pisendel, le fameux élève commun à Torelli et Vivaldi. Or, fait troublant et inexpliqué jusqu’à présent, ce manuscrit semble dater de la prime jeunesse de Pisendel, lorsque celui-ci étudiait avec Torelli, presque vingt ans avant sa rencontre avec Vivaldi. Elle fait partie du même corpus que les manuscrits des sonates de Torelli que Pisendel avait copiées auprès de son maître à Ansbach. Et si une composition manuscrite italienne se retrouve à Ansbach autour de 1700, c’est vraisemblablement qu’elle y a été apportée par Torelli lui-même.
Alors, si Torelli a transmis une œuvre du jeune Vivaldi, alors encore complètement inconnu, à son élève Pisendel, une rencontre entre le Bolognais et le Vénitien est-elle réellement impossible ? (Vincent Bernhardt)
La Chapelle Saint-Marc
Sue-Ying Koang & Jasmine Eudeline, violons
Jean Halsdorf, violoncelle
Parsival Castro, théorbe
Vincent Bernhardt, clavecin, orgue & direction
Découvrez Sue-Ying Koang